La nuit devrait déjà être finie mais sur cette Terre hostile, cette dernière s'éternisait toujours. Et tellement longtemps. A croire que Ranaghar était destinée à vivre dans des ténèbres perpétuelles. Personnellement, cela ne me gênait plus. De toute façon, mis à part le noir et l'obscurité, je n'avais pas connu grand chose depuis près de 8 ans.

Assise à califourchon sur un des mâts perpendiculaire au pont, j'observe l'horizon et profite du silence. Je ne parviens toujours pas à dormir, ou très peu. Des cauchemars, des souvenirs me hantent, m'empêchant de me reposer comme je le voudrais. Les mauvaises habitudes ont la vie dure et à l'inverse, mon sommeil est léger. Alors, il faudra que je trouve d'autres solutions.

Fatiguée de tourner en rond, je quitte le navire, simplement dans le but de me dégourdir les jambes et de ne pas rester inactive. J'ai besoin de m'occuper, pour arrêter de penser. Alors j'avance, sans réfléchir à la direction que prennent mes pas. Kalicko surveille aussi pur moi, je lui fais confiance là-dessus. En silence, nous nous fondons dans la nuit.

Et puis, soudain, mon alter-égo se dresse et émet un son étrange. Une sorte de sifflement que je ne lui connaissais pas. Et le voilà qui saute à bas de mon épaule pour courir droit devant lui. Je le sens heureux, curieux, impatient, mais moi, j'ai peur. Qu'il s'éloigne trop, de le perdre, de ne jamais le revoir. Il est mon seul ami, je ne veux pas le voir disparaître.

"- Kalicko, reviens !!! "

Et au bout de quelques pas, je me fige. Le feu de camps disperse une lumière chaude et légère qui illumine une scène tout à fait incongrue. Deux Kalicko. Et un homme en long manteau rouge, complètement dissimulé par ce dernier. Moi, je me suis stoppée à la lisière de l’auréole de lumière projetée par le feu et j'hésite. Avancer ou rester cachée? Il sait forcément que je ne suis pas loin mais je me méfie. Je ne sais pas faire autrement.

─ Je me disais bien que je ne voyais pas double.

L'homme camouflé ne semblait pas particulièrement affable mais pas spécialement en colère non plus. Tant mieux, il n'avais jamais été dans mes intentions de créer un quelconque incident. Tout ce que je souhaitait, c'était récupérer Kalicko au plus vite. Après, je m'en retournerais d'où je venais et chacun reprendrait sa vie là où il l'avait laissé.

Par réflexe, je me mis en garde lorsqu'il avança dans ma direction. Si mon alter-égo ne semblait nullement inquiet, simplement ravi de cette rencontre fortuite, pour ma part, je n'appréciais nullement de me retrouver ainsi pointer par une arme. Même sans volonté de combattre, un arme reste ce qu'elle est : un outil de mort avant tout.

─ J'apprécierais que vous ne posiez pas le pied sur mon espace vital, étrangère. Qui êtes-vous ?

"- La propriétaire de l'animal qui n'est pas le vôtre. "

Je reste calme, ma voix est posée mais je reste sur la défensive. Je ne sais rien de lui alors je ne vais certainement pas lui raconter ma vie. D'autant plus que ce n'est déjà pas mon genre à la base alors encore moins avec un parfait inconnu. Je l'observe de nouveau alors que de son côté, Kalicko s'amuse comme un fou avec son nouveau camarade. Je t'en prie, fais attention à toi quand même.

"- De nous deux, c'est vous l'étranger à ce lieu. Je n'approcherais pas à la seule condition que rien ne soit fait à Kalicko."

Oui, je posais mes conditions. Si le besoin s'en faisait vraiment sentir, je pourrais toujours jouer sur l'effet de surprise et ma vitesse mais je ne souhaitais pas d'ennuis. Et ma moitié semblait tellement heureux de son côté, je ne pouvais pas le priver de cet instant.

─ Je n'ai pas l'intention de m'en prendre à votre compagnon. Mais comprenez moi, cette zone grouille de pirates, je suis obligé de me méfier.

Quelque part,je le comprenais. La méfiance était, sans doute avec mon instinct de survie, les deux meilleures armes de ma volonté de vivre. Celles qui m'avaient permises de tenir malgré les coups, les blessures et les désillusions toujours plus nombreuses. Je restais cependant surprise que c soit le mot 'pirate' qui sorte également de ses lèvres. Ces gens étaient loin d'êtres les pires êtres humains que j'avais rencontré pourtant, c'était eux les plus craint. Systématiquement.

─ Vous n'êtes pas tout à fait comme j'imaginais les personnes qui peuplent cette terre. Qu'est-ce qu'une gamine peut bien trouver comme charme à ce lieu désolé ?

"- Comme charme? A ces lieux? Absolument aucun. "

La réponse était sortie telle une évidence. Pourquoi ici? Simplement parce que je n'avais nulle part ailleurs où aller. Qu'est-ce qui me retenait sur Ranaghar? Cette dette que je me devais de payer, cette second chance que l'on m'avait offerte. Mon regard englobait l'homme vêtu de sa longue cape mais également les deux petits pandas. Kalicko semblait tellement heureux en cet instant, que même mon passé me parut presque lointain, l'espace d'un second.

"- Mais ici, maintenant, je suis libre. Et ça, ça n'a pas de prix..."

Je me suis accroupie sans m'avancer pour autant. Ici, c'est lui qui donne les règles du jeu alors je les suivrais, tant qu'elles ne me mettront pas en danger, ni moi ni mon alter-ego.

"- Comment imaginiez-vous les gens vivant ici? Et pourquoi rester ici si vous savez que vous êtes en danger à cause des pirates? "

─ Je suis seulement curieux. Les pirates ne me font pas peur, que ce soit ici ou ailleurs, je ne suis jamais en sécurité, de toute façon.

Jamais en sécurité? Finalement, n'était-ce pas un peu mon cas? Si, complètement. Car les pirates sont éternellement pourchassés. Les esclaves, eux, sont malmenés et utilisés à tout fin possibles et imaginables du moment qu'ils servent les intérêts de ceux qui les possèdent. Etant à la fois l'un et l'autre, je n'ai aucune réelle perspective d'avenir.

Je m'approche du feu malgré ma méfiance, plus pour réduire la distance entre moi et mon alter égo qui pour réellement me réchauffer. Kalicko ne semble pas inquiet, il se laisse même caresser un instant. Non, je ne suis pas jalouse mais oui, une second, j'ai peur de le perdre. Lui aussi, comme tout m'a déjà si souvent échappé des mains.

─ Mais êtes vous arrivée ici par choix ? Ou parce que vous n'aviez pas d'autre endroit où vous réfugier ? Est-ce cela que vous appelez la liberté ?

"- Je n'ai jamais eu le choix et je n'en ai toujours pas aujourd'hui. Je suis simplement ici par le bon vouloir du destin et peut-être un peu du hasard."

Mon regard se perd dans les flammes alors que cette fois, les deux pandas roux se dirigent dans ma direction. Ou pour être plus précise, la boule de poil inconnue suit Kalicko qui vient se frotter un instant contre mes jambes. Oui, je vais bien, ne t'en fais. Mais merci de te soucier de mon état.

"- Quand votre seul horizon s'est toujours limité à des barreaux et des cages, le simple fait de ne plus porter de chaines devient la plus grande des libertés. Peu importe le paysage alentour. "

Un refuge? Je n'en avais jamais eu. Même mes rêves n'en étaient plus un depuis longtemps, le retour à la réalité faisait trop mal. Pourtant, quelque part, je n'avais pas abandonné tout espoir. Seulement, je refusais d'y porter trop d'attention. Comme ça, je ne risquais plus d'être déçue.

"- Et je ne suis plus une gamine depuis longtemps."

L'avais-je seulement vraiment été un jour? Qui sais. Un esclave est un esclave, peu importe son âge ou sa condition.