- Harry, Harry ! Regarde comme la vue est magnifique d'ici !
- J'arrive, c'est juste pas facile d'escalader ici argh.
- Allez, dépêche-toi ! Harry !
Harry, je t'aime.
- ... Cléa !


Puis soudain, la lumière du jour. Agressive, violente, désagréable. Celle qui vous arrache de vos plus profonds rêves et souvenirs. Son coeur tambourine à l'intérieur de sa poitrine alors qu'il vient d'hurler son nom, à elle. Son nom, ce tabou. Son nom, cette source de sourire. Son nom, là où débutent toutes les larmes qui débordent dans son âme un peu abîmée. Ses chimères aux murmures incessants, les saveurs du passé, les couleurs de l'amour, les débuts de la candeur. Quelques morceaux brisés qui volent ici et là dans son crâne, qui le transpercent et qui lui font mal.
Il frotte ses yeux gonflés : il n'a plus la force de pleurer. Ca fait maintenant deux ans qu'elle est partie, qu'elle n'est jamais plus qu'une idée, qu'une personne dont on parle déjà au passé.

- Tout va bien, Harry ?

Il sourit avec aisance, c'est quelque chose qu'il n'a jamais oublié. Il aura beau avoir tout perdu, il sera toujours là à étirer la plus belle expression sur ses lèvres et la partager avec amour. Harry Somerset est ainsi : un aimable garçon banal à la chevelure noir de jais et aux yeux sombres, celui qui n'a décidément pas grand chose pour plaire mais qui a un sourire qui vaut l'or de tous les Royaumes confondus.

- Encore un mauvais rêve, ce n'est rien. Ah, je me suis réveillé tard en plus. Je sors, à ce soir !

Il enfile mollement son vêtement et accourt jusqu'à l'extérieur. Le panneau de bois grince et le voilà face à une étendue verdâtre, aux milles et une odeurs de la campagne, aux sons de la tranquillité et de l'apaisement.

Harry Somerset, du haut de ses vingt-quatre ans, n'est jamais rien de plus qu'un grand gamin. Aimant, souriant, presque candide. Un peu maladroit, mais toujours la main sur le coeur. Quelqu'un de vrai, quelqu'un de bon, ce quelqu'un qu'on trouve un peu partout, ce quelqu'un qui ne marque jamais. Si Harry peut marquer avec son sourire, il vous marquera sans doute par son histoire loin d'être inconnue aux yeux des petits paysans d'Hyrule où les nouvelles courent d'un bout à l'autre.

Il était encore plus gamin qu'il ne l'est maintenant ; pas plus haut que trois pommes, des bras fins comme des baguettes, un avenir de berger déjà tout tracé comme on l'est de père en fils chez les Somerset quand ses parents ont tout bonnement disparus. Comment peut-on expliquer le vide qui se forme à l'intérieur de votre petit coeur plein d'innocence lorsque vos créateurs, vos dieux, s'en vont dès l'aube ? Harry n'a jamais su mettre les mots sur ce qu'il a ressenti, sur ce qu'il ressent. Les mots n'ont aucune force, et il le sait. On lui a dit tes parents sont partis à Ranaghar, ce sont des traîtres mais aussi tes parents sont partis à Ranaghar, mais ils t'aiment et t'aimeront toujours et encore. Des parents modèles, modestes, aimants, Harry n'a tiré d'eux que leur générosité. Leurs mystères, il ne les a pas encore percé mais en lui, malgré sa lâcheté et son amour pour son petit confort personnel, il veut chercher à comprendre. Il a accepté leur départ sans rien dire, seulement en versant quelques larmes qui se sont épongées sur l'oreiller, rien de plus.

Puis Harry a aimé Cléa. Cléa, une douce histoire d'amour qui commençait à fleurir. Puis Cléa aussi s'est volatilisée à Ranaghar.
Alors Harry a tourné ses talons et est parti sécher ses larmes sur l'épaule de Fred, un ami rencontré par hasard. Mais Fred aussi s'en est allé sur la terre Lunaire.
Aujourd'hui Harry n'a plus rien si ce n'est qu'un sourire qui persiste, un sourire qui s'attriste, un sourire qui se brise. Un sourire qui réparait les coeurs autrefois qui perd ses vertus.


- Grand-père, grand-mère. Je vais bientôt partir à la recherche de papa, maman, Cléa et Fred. Je les ramènerai à Hyrule, je vous le promets.

Des drôles de promesses dignes des héros de romans. Harry est toujours comme ça : plein d'optimisme et plein d'espoir, mais certainement pas les pieds sur terre.
Lui qui n'avait ni but, ni envie, ni désir : le voilà prêt à prendre ses bagages et à s'envoler ailleurs pour récupérer ses propres trésors, dans l'attente incessante de pouvoir les serrer contre son torse, sentir leurs coeurs, leur chaleur.

La triste vérité, c'est qu'à Hyrule, personne n'a jamais voulu faire de mal à Harry. Alors on lui a menti depuis tout petit. Et peut-être qu'un jour il devra apprendre que ses parents se sont fait tuer par un kelpe un soir dans la forêt, que Cléa s'est brisée la nuque en tombant de la falaise et que Fred a fini égorgé par des pirates.

Mais pas aujourd'hui. Non, pas aujourd'hui.
Aujourd'hui nous voulons encore le voir heureux, alors, s'il vous plaît. Ne lui dîtes rien, laissez-vous bercer par ses tendres sourires.