Ses cris bringuebalèrent l'atmosphère. Privèrent d'une précieuse oxygène les deux seuls êtres présents. Et, anatomie arc-voûtée, il naquit teint de rouge. Des cheveux aux orteils ; baigné dans le sang. Aucun pleur ; juste des plaintes, celles d'Être, celles de respirer. Ce miraculé de deux mois, entouré d'une femme à la voix gutturale, asséchée, et d'un chien touffu embaumant les égouts.
Aucun nom ne lui fut attribué. Contrairement à l'animal.
Lorsqu'on ira le baptisé, l'on en parlera comme d'un « Lui. »
Pour la bonne forme, il accédera à une grâce sainte. Car même les nourrissons bâtards mériteront verdeur. Du moins, ils en auront besoin.
Les vivants sont condamnés, les nouveaux-nés s'avèrent bétail.
Et tandis que sa naissance n'est que honte – mulâtre asiatique et occidental dépourvu d’identité, il passera dix ans de sa vie auprès d'une catin vide, aigrie et saccagée de l'intérieur, dont même les vestiges ne tiennent plus. Une femme qui se consume au fil de réflexions cinglantes et élans de haine, regrets ou pestes. Car oui, cette enfant fut maudit ; lorsqu'il ne rapportait pas assez d'alcool, ou que ses chaussures se trouaient. Quand sa simple présence était sue. Cet enfant à qui l'on voulait faire croire – qui voulait croire, que le précédent monde était bien pire que l'actuel. Le monde d'antan. Pire pour qui ?
Un beau jour, il disparu. Ce fut le meilleur de tous.
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Ce qu'il traversa jusqu'à alors n'avait pas eu pour vertu de le transformer ; cela l'avait révélé. Encagé dans les profondeurs de son moi. Ayant traversé les méandres d'un faux-salue.
Il s'avéra grand. Certain. Fort et ennuyeux.
Parfumeur de sa propre odeur, il était allé, de son souffle brasier, de la vie d'un pauvre à celle d'un regrettable bouc. Fait esclave dans son plus jeune âge, kidnappé par il-ne-savait qui alors que sa vadrouille le traînait près des montagnes, il ne vit le soleil s'estomper qu'une fois ses yeux clos. Un sac de légume irait altérer sa vue ; pendant que l'infecte relent de concombre avarié et de patate sèche tailladait ses narines en fines lamelles fragiles, il foula de ses pieds nus, meurtris, un carrelage bouillonnant de fraîcheur.
Château oriental où il fut prisonnier.
Accablé, marché dessus, frottant sols murs et plafonds du bout des doigts.
Témoin puis sacrilège.
Rangeait, nettoyait après les fêtes
Tenir la chandelle il devait. Voir son maître couché aux milieux de plusieurs pairs de bras. Ces corps dénudés, bronzés, plongés dans cette mer de draps emportés par la luxure.
Immondes mémoires.
Sujet aux railleries. Sac de frappe. Bousculé ; provoqué
Il n'en eut souffert, puisqu'il fut conscient de son malheur.
Après réflexion, sa sordide existence n'était que succession de manque matériel. Tout ça, il n'en avait aucune nécessité.
Son sourire agace. Son silence irrite. Son regard, lui, plaît. Arrogant. Fainéant. Amusé. Fasciné. Que signifie-t-il, cet œil transcendant qu'on lui retire pour la confiance qu'il dégage, les bêtises qu'il n'a pas commise.
Et, même à moitié borgne, il demeure inébranlable. Chêne d'acier aux feuilles orangées. La couleur de sa crinière est restée la même depuis sa conception. Six années passèrent ; son nom lui manquait toujours.
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Pourvu d'une vigueur insoupçonnée : arrangé d'un animal sorti de nulle part. Il tenta tant bien que mal de cacher ces bénédictions, qu'il renflouait. Car oui, il détestait le Ciel. Il détestait celui qui s'y tenait. Ne pouvait pas s'essayer de lui cracher dessus : cela lui retomberait obligatoirement sur la figure.
Néanmoins, il jurait à son égare.
Sa prise de conscience d'un grand pouvoir le faisait s'émouvoir. Ça le sauva.
Sa joie n'était pas plus édifiante que ça ; il continuait à être soumit. Et en cachette, chaque fois qu'il avait un moment de répit, s'essayait à se comprendre. Il s'intriguait.
Cette aptitude à ne rien manquer lorsqu'il bazardait tel ou tel objet.
Ce félin qui se faisait la taille d'une souris, dissimulé sous les haillons de sueur lui servant de vêtement.
Pour la première fois, il choisi. Oui.
Il eut le choix, celui de donner un nom. Non pas le sien, ni celui d'un enfant, mais de quelque chose lui appartenant :
Maroo.
Son bonheur en fut presque palpable, il n'était plus question de notion.
Maroo.
Cette appellation revenait en boucle, il priait l'animal d'être plus discret. Il se voulait silencieux.
Maroo.
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Second choix dans la semaine qui succéda l'apparition de son alter-ego et la perfection de son talent.
Lorsqu'il fut tous pillés, trois d'entre eux grièvement blessés, l'on lui imposa de se prononcer. Continuer à croupir ici comme une larve, servant les riches et frivoles dignitaires oklébiens ou ébrécher la distance qui ne faisait que le séparer d'une accablante liberté.
Choisis.
Prend.
Admet et accepte.
Sa main est tendue, il ne la voit que d'un seul œil. L'homme – son sauveur ? cherche dans sa poche, en extirpe un cache-œil. « Tu décides, bonhomme. »
Maroo se tortille sous ses tissus criblés ; le mur éclaté offre tout ce dont il a rêvé : une identité, plus qu'une vie. Des sanglots à son dos, une symphonie caverneuse mêlant fracas métalliques et bruits de rudoiement.
Ce château oriental l'ayant fait fourmi, tari d'une bribe d'importance. Six longues années dont il a l'impression qu'elles sont vrillées, mâchées, recrachées pour ne pas être prises en considération.
Il empoigne le cache-œil et le dresse fièrement sur son organe crevé. Il retire, de force, un élastique à cheveux de l'une des domestiques, manquant de la traîner au sol. Avec, il noue ses lianes auburn.
Son souffle n'est que néant.
Il fend la chaleur continental. Regard vitré ; il lui agrippe le manche.
Adopté par des pirates.
[…]
Toujours démunit de nom : on le loge, on l'habille, on l'entretient une semaine durant, ses seules paroles ?
« Merci. » « Bonjour. » « S'il vous plaît. » « Pardon ? »
Quand on lui demande son nom. « Pardon ? »
Je n'en ai pas.
Il n'en a pas.
C'est un vagabond sans vie, qui ne donne pas l'impression d'avoir goût à quelconque plaisir.
Ils sont tous réunis autour de lui, dans cette grande salle du vaisseau flottant ; ces hommes aux faciès renfrognés, agressifs, marquants, touchés. Tous en attente d'une réponse. Et on le brusque.
Son épaule est brièvement frappée.
Allez. Ouais, vas-y.
C'est le moment. Il l'avait tant attendu. Il ne voulait que ça, enfin de compte. C'était tellement simple. Ça le fut. L'insatiable délice qui opéra...
Il renaissait. Tyga.
Tyga, il s'appelait.
Vague de rires profonde. Il ne connaissait pas ces hommes, ne savait pas en quoi ils opéraient, si tout ceci n'était qu'un masque, et quand bien même ils se fourvoyaient, étaient les brebis égarées, les vilains petits canards, appartenaient audit virus tant craint : il était dorénavant l'un d'entre eux. Sa nouvelle famille, chez qui il se construisit et grandit. Chez qui il se sent vivre.
Des tréfonds de ton âme à la réserve émanant de tes pores, la langueur te terrasse. Engendre tes habitudes loufoques, évincées de sérieux. Anime une invisible hilarité. Pas assez entreprenant pour la fomenter, trop réticent pour en profiter. Cette connerie te suffit.
Ne rien prendre au sérieux, la familiarité, le batifolage. Brûlant de l’extérieur, glacial de l’intérieur. Effervescent et faux. De ton cœur battant sous cette cage d’os allergique à tant de mutisme. Nonchalance t'es claquée sur la gueule, perversité tatouée dans le dos. Tes lèvres ne tremblent pas, jamais.
Trop fier de cette œuvre à laquelle tu aspires pour te reposer sur les autres, trop désinvolte pour croire en eux.
Clown faussaire.
Égaré et égarant.
Ce que tu es, tu le sais. Ce que tu es, tu le veux.
Toujours cet enfant dans un corps d'adulte.
L'indétrônable sans trône. Tigre solitaire.