Elle marche ou elle flotte, on ne sait pas trop. Mais ce que tout le monde ressent en entendant le nom de la reine d'Okleb, c'est de la grâce. Cette manière de marcher complimente copieusement les formes de son corps et on aurait presque l'impression qu'un tapis de jasmin coule derrière ses pas tant elle est élégante. Ses gestes sont souples et adroits, presque calculés à l'avance pour que chaque mouvement considère son statut de Reine et suive une gestuelle acquise après de longs apprentissages. Mais rien de cela, seulement une femme gâtée par Dame Nature. Cette grâce féminine et envoutante n'a pas seulement pris place dans son apparence extérieure, il fallait également qu'elle ait une personnalité marquante.

Lorsque ses lèvres rougies et pulpeuses s'entre-ouvrent pour laisser place à une voix mielleuse mais forte, on aurait l'impression que Shadhee s'est levée bien plus tôt que prévu pour soigner son éloquence. On pourrait croire que la Reine travaille sa voix et ses mots chaque matin pour le plaisir de ses interlocuteurs au fil de la journée parce que ses mots raisonnent dans les oreilles et que l'accouplement de sa voix et de ses paroles donne une sonorité et un tempo aussi parfaits et travaillés que le chef d'oeuvre du musicien le plus réputé du pays.

Mais Shadhee ne travaille ni sa personnalité, ni ses gestes et ni quoi qu'est-ce. Née dans la pauvreté, cette femme n'a jamais cherché à s'attarder sur du superficiel comme le physique. Elle n'a jamais cherché à plaire, mais encore une fois Dame Nature a fait de Shadhee une oeuvre d'art, alors Shadhee plait. Shadhee attire les regards et Shadhee fait des envieuses, mais Shadhee est une femme de caractère. Plus jeune, elle n'avait rien si ce n'est pas de l'ambition pour survivre. Ainsi, elle a réussi à se forger une personnalité presque masculine, affirmée et difficile à détourner. Ce côté-là de la Reine d'Okleb est admirable et compenserait presque pour son époux le Roi qui est un « bel écervelé qui ne sait même pas nettoyer son propre bazar. »

On pourrait écrire tout un ouvrage sur les relations entre Shadhee, Saad et leur royaume qu'est Okleb. Mais voilà, Shadhee secoue la tête pour dire qu'il ne vaut peine d'évoquer ces péripéties de sa vie. Celle-ci n'est comprise ni de facilités, ni de difficultés. Tout est sur la barre du juste-milieu qu'elle n'a même pas effleurée lorsqu'elle est passée d'une piteuse modestie à un statut reconnu par le pays entier, si ce n'est plus. C'était comme un soulagement pour elle, mais aujourd'hui les soupirs qui lui échappent à la vue de son époux ne sont que de désespoir. Un amour consumé et aussi disséminé que le sable d'un désert après une tempête.
Plus que généreuse et bienveillante, Shadhee est altruiste et presque profiteuse de son titre royal pour fournir aux démunis ce dont ils ont besoin. Elle n'est pas le génie de la lampe qui exhausse les voeux, comme elle a entendu d'un compte des anciens temps, mais ayant connu cette misère, elle refuse de mettre la pauvreté d'Okleb de côté et en fait même sa priorité. « Si je ne leur donne pas la justice qu'ils méritent, qui le fera ? »

Loin du complexe de supériorité, notre Reine aime juste avoir le dernier mot et voir son interlocuteur hocher la tête à ses paroles. Vous n’auriez pas envie de faire bouillir son sang déjà chaud. Une Shahdee sur les nerfs est une Shahdee violente et mauvaise.